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Lorsqu’on recherche en français 工夫茶 - “GōngFūChá” sur internet ou que l’on consulte des ouvrages spécialisés dans le Thé écrit par des Européens, on apprend que cette expression désigne une technique d’infusion du thé Pu’er ou Wulong à l’aide d’ustensiles à thés comprenant : théière, verseuse, filtre, tasse à thé, bouilloire. On nous explique parfois que c’est une cérémonie où il faut prendre son temps, d’où le terme “Gōngfū”. Lorsqu’on discute avec des amateurs et des spécialistes du thé en France, on peut entendre aussi à l’inverse que c’est une méthode d’infusion assez libre du thé, ce qui porte à confusion.

Le problème est qu’en Chine, le terme GōngFūChá ne signifie en rien cette méthode d’infusion, ou cette “cérémonie”. Nous voilà dans l’embarras, qu’est ce que signifie réellement le terme “Gōngfūchá”, entendu si souvent.

Dans notre dynamique de recherche et de transmission de la culture authentique du Thé sous toutes ses formes, nous nous sommes intéressé à cette question dont la clef est contre toute attente… la sémantique géographique.

Le GōngFūChá de Chine continentale

En Chine continentale, le terme GōngFūChá ne signifie pas exactement la même chose qu’à Taïwan. Explications

Le GōngFūChá en Chine continentale : une technique d’infusion très locale et “cérémoniale”

Le GōngFūChá, en Chine continentale, désigne la manière d’infuser un thé selon la méthode de 潮州 - CháoZhōu. CháoZhōu est une ville située dans la province de Canton, au sud Est de la Chine.

潮州工夫茶

Le GōngFūChá, en Chine continentale, désigne la manière d’infuser un thé selon la méthode de CháoZhōu. Cháozhōu est une ville située dans la province de Canton, au sud Est de la Chine.

Cette méthode consiste à infuser dans une petite théière un 岩茶 Yánchá* (thé de roche) depuis la théière directement dans des petites tasses à thé, selon un ordre et un doigté précis. Chaque étape porte un nom, faisant référence au passé guerrier de la Chine ancienne. Exemple: l’étape d’égoutter les dernières gouttes dans chaque tasse se nomme: “韩信点兵” Hánxìn diǎn bīng, ce qui se traduit par “le général HanXin inspecte les troupes”.

Les ustensiles utilisés pour réaliser le GōngFūChá sont réduits à: une petite théière, une ou plusieurs petites tasses à thés, ainsi que d’un 茶船 Cháchuán “bateau à thé” et d’une bouilloire à anse droite de tyle japonais que l’on fera chauffer sur du charbon. On peut aussi agrémenter le tout de pinces à thés et d’un 茶洗 Cháxǐ pour nettoyer les tasses plus proprement.

潮州工夫茶

Les ustensiles utilisés pour réaliser le GōngFūChá sont réduits à: une petite théière, une ou plusieurs petites tasses à thés, ainsi que d’un 茶船 - CháChuán “bateau à thé” et d’une bouilloire à anse droite de style japonais que l’on fera chauffer sur du charbon. On peut aussi agrémenter le tout de pinces à thés et d’un 茶洗 - CháXǐ pour nettoyer les tasses plus proprement.

Ainsi, il n’est pas question de verseuse ou de table à thé lorsqu’on parle en Chine continentale de Gōngfūchá. On notera que le GōngFūChá est une “cérémonie” dans le sens où chaque étape porte un nom et est clairement identifiée, tout comme la cérémonie du thé 茶艺 Cháyì qui est enseignée et certifié dans les écoles du thé en Chine continentale.

Pourquoi alors voit on le plus souvent en Europe des ustensiles “normaux” pour effectuer une infusion de type “Gōngfūchá”. La réponse se trouve à Taïwan.

La sémantique du terme Gōngfūchá

Le terme 工夫茶 Gōngfūchá, avant qu’il n’ait pour signification cette technique particulière d’infusion du thé décrite plus haut, était le diminutif du terme 工夫红茶 Gōngfū hóngchá. Un Gōngfū hóngchá signifie à l’heure actuelle un type de thé rouge (滇红工夫 Diān hóng gōngfū,祁门工夫 Qímén gōngfū,宁红工夫 Níng hóng gōngfū). Si l’on remonte encore plus loin dans l’origine du mot, GōngFūChá signifiait aussi les thés de roches du Fujian: 大红袍 Dàhóng páo,水仙 Shuǐxiān,肉桂 Ròuguì, etc. C’était également une marque de thé de WuYiShan.

Fabrication de WuYi YanCha

Ce terme désignait les thés de roche car le temps qu’il fallait pour les produire était exceptionnelement long, et la qualité dépassait souvent celle des autres thés. En effet d’un point de vu plus linguistique, le terme 工夫 Gōngfū a plusieurs significations :

On peut ainsi dire que, pour réaliser le Gōngfūchá, il faut posséder toutes ces qualités. Le résultat direct est un thé particulièrement remarquable.

Cette signification est aussi à mettre en corrélation avec la recherche des saveurs primaires délicates du thé de roche ou du Dāncóng utilisé pour cette technique d’infusion. L’extraire n’est pas facile: mais si l’on respecte les règles du thé Gōngfūchá, alors l’extraction se fait correctement et on peut profiter pleinement des arômes excquis de ces thés Wulong.

La signification du terme GōngFūChá à Taïwan

Nous l’avons vu, le terme GōngFūChá en Chine continentale désigne une technique d’infusion propre à la province du Canton, et plus précisément à la ville de Cháozhōu. Mais lorsqu’on traverse la mer et que nous nous rendons à Taïwan, ce terme a une toute autre signification.

A Taïwan, le GōngFūChá désigne simplement la technique infusion traditionnelle à la chinoise comme elle se fait dans les maisons de thé, les marchés de thé, chez les particuliers eux mêmes en Chine continentale à l’heure actuelle. Se traduisant par 泡茶 Pào chá en chinois, cette technique utilise l’ensemble des ustensiles possibles pour la préparation du thé (inlcuant les verseuses, les tables à thés, etc), avec pour spécificité de n’utiliser que théière comme outil verseur (et non un Gaiwan par exemple). Cette technique d’infusion est de plus extrêment libre: aucune règle n’est figée, bien qu’un standard dans les étapes d’infusion est la plupart du temps utilisé.

On voit donc ici la différence fondamentale entre les deux même mots utilisés dans deux pays différents.

Comment en est on arrivé là? Cette différence entre la Chine continentale et Taïwan s’explique par le fait que suite à l’immigration massive des Chinois à Taïwan après la deuxième guerre mondiale, les traditions du GōngFūChá ont été elles aussi importées par les habitants de Cháozhōu. Au fur et à mesure des années, les Taïwaniais développèrent cet art en y incluant le 公道杯 Gōngdào bēi (verseuse),et les 闻香杯 Wén xiāng bēi. Ce style se distinguat de ce fait du traditionnel GōngFūChá de Cháozhōu, expliquant la différence entre les deux pays.

WenXiangBeiGongFuCha

En Europe, nous avons surtout été inspiré par Taïwan en matière de tradition du thé, ce qui explique que pour les Européens le 工夫茶 - GōngFūChá est la technique traditionnelle chinoise d’infusion utilisant une théière, un GōngDào Bēi, et le reste des ustensiles comme elle se fait à Taïwan.

A noter: aujourd’hui en Chine continentale, on voit beaucoup de marchands ou de sites proposant des set “GōngFūChá” de style Taïwanais, et non de style Cháozhōu.

工夫茶 ou 功夫茶

Voici une autre question cruciale pour bien comprendre le terme Gōngfūchá.

工夫茶 - GōngFūChá, 功夫茶 - GōngFūChá, on voit souvent en Chine les deux formules utilisées pour décrire la même chose: le GōngFūChá que nous venons de décrire. Mais seulement une seule de ces deux formules est la bonne. Cette confusion s’explique par le fait qu’en chinois, les mots 工 et 功 se prononcent exactement de la même manière ( Gōng ). Leurs significations elles même sont assez semblables, quoique différentes lorsqu’on rentre dans les détails. Ceci explique que même en Chine la confusion règne chez les amateurs de thés. Alors quelle est la bonne?

La bonne réponse est: 工 Gōng.

En effet il n’y a qu’à regarder le dictionnaire 辞源 Cíyuán, spécialisé dans les termes de la Chine ancienne. L’édition de 1979 a intégré le terme “工夫茶” en lui donnant pour définition: [工夫茶] 广东潮州地方品茶的一种风尚,其烹治方法本于唐陆羽《茶经》。细白泥炉,形如截筒,高尺二三。壶用宜兴瓷,杯小而盘如满月。烹时先将泉水贮铛,用细炭煎至初沸,投闽茶入壶内冲之,盖上壶盖,再遍浇其上,然后斟而细呷,气味芬芳清烈. Lorsqu’on traduit la première phrase, la plus importante, il est question du style d’infusion propre à Cháozhōu dans le Canton.

Pour les sceptiques, voici une mini enquête qui devrait mettre fin à tout débat. En dialecte de Cháozhōu, la technique d’infusion locale de Cháozhōu du GōngFūChá se prononce “GangFuCha”, et non “GongFuCha”. Or les mots 工 et 功 se prononcent respectivement dans ce dialecte Gang et Gong. Ainsi les personnes de ChaoZhou en parlant de leur “GangFuCha” parlent de 工夫茶 et non de 功夫茶.

ATTENTION: il existe un “功夫茶”. On appelle “功夫茶” un style de présentation du thé (versement du thé en particulier) propre à la province du Sìchuān. Cette technique est impressionnante, et demande un grand savoir faire, rappellant le célèbre KungFu chinois. Les performers utilisent des grandes théières de métal à long bec et exécutent des chorégraphies millimétrées. Rien à voir donc avec le 工夫茶 - GōngFūChá que nous avons détaillé dans cet article, mais cela vaut le coup d’oeil!

SiChuanGongFuCha